- Registre de langue courant dans l’ensemble de l’œuvre; vocabulaire et expressions en français européen (p. ex., la laide se targue, pauvre tarée, c’est marrant, pimbêche, môme, potes); emploi de mots nouveaux (p. ex., cancre, abysses, déconvenue, mygale, jouxte) que le contexte permet de définir.
« Molle et pâteuse, elle est rentrée chez elle, dans sa chambre noire et rose, où elle n’a presque pas pleuré. Rien ne lui semblait clair. Pas de projecteurs sous le chapiteau de son crâne, juste une piste en sable du désert, et elle au milieu qui jongle avec des idées noires, des chauves-souris. Elle était à moitié triste, à moitié fâchée, et tout ce qu’elle a été capable d’écrire dans son cahier de notes, c’est la question suivante : Pourquoi, quand on est à moitié triste, on ne pleure pas que d’un œil? Elle pourrait cacher la moitié du visage qu’elle voudrait, et sourire à demi, du côté qui ne pleure pas. » (p. 80)
« Elle est restée là à loucher, le nez sur la glace, en essayant de réfléchir à la nuit passée, à Sven.
Il faudra dire à Alizé que le club des mouches ne comptera jamais que des célibataires, mais que les mouches peuvent avoir leur bourdon. Il faudra leur dire que les bourdons sont plus gentils avec les tailles de guêpe, et que les grosses mouches finissent toujours par pleurer le front sur leur miroir avec les yeux ravagés et noircis.
Sous la douche, elle s’est prise dans ses bras, tête levée pour qu’il pleuve très chaud sur ses yeux. » (p. 107)
- Texte contenant une variété de types et de formes de phrases, certaines étant longues et complexes.
« Elle a peur.
Jusqu’ici, non, elle considérait comme une mauvaise grippe le mal rongeant Coralie. Pourquoi ressent-elle ce matin une vraie panique à l’idée que cette amie à peine entrevue puisse mourir? Peut-être parce qu’on se plaît à croire le plus longtemps possible qu’il y a un âge pour ça. Parce qu’avant d’écrire "guéris vite", elle avait tapé "ne meurs pas". Delete. Guéris. Vite. Pensé "On t’aime fort". Maintenant, elle attend des nouvelles en se persuadant que ça ira bien, qu’elle redeviendra jolie.
Mais ça ne doit plus compter, pour elle, de redevenir jolie. Alors pourquoi cette maladie ne s’en prend pas plutôt à elle, Alizé, ou une autre moche? Si elles meurent, c’est moins grave, si elles survivent, elles peuvent réussir à oublier un peu leur laideur, à se dire que ce n’est pas le plus important. » (p. 82)
« En replongeant sa main au fond de sa poche, Zoé a touché la main coupée de la Barbie, et l’a serrée fort dans son poing. Une toute petite main de plastique. Elle ressent de plus en plus de peine pour elle. On ne torture pas ses jouets d’enfance, c’était sa poupée, pas le reflet d’une petite blonde ridicule et provocante. Trop tard, et tant pis. Quatorze ans, c’est peut-être l’âge des jouets cassés pour tout le monde, le moment de ranger les premiers débris, de faire le point sur sa petite vie, une première fois. » (p. 142)
- Nombreuses figures de style (p. ex., comparaisons, métaphores, énumérations) qui favorisent la création d’images mentales.
« Les insultes égratignent quand ce sont les autres qui les formulent. Quand ce sont des autres qu’on aime, les insultes coupent le cœur en rondelles, ou résonnent comme des coups de fusil. » (p. 16)
« Elle en a oublié le club, mais Alizé continue de tourner le dos à Zoé chaque fois qu’elle essaie d’évoquer Sven. Elle se contente donc d’écrire son prénom, et de l’attendre, d’autant que l’ennui s’invite partout. Les classes donnent des heures aussi indigestes que les hamburgers-frites-mayonnaise, vu que les classes sont les fast-foods du cerveau. Chapitre vite emballé, mâchouillé, dont on ne se souvient le lendemain qu’au hasard d’un petit mal de tête. » (p. 89)
« Quand elle s’est redressée dans sa robe à laides grosses fleurs pleine de taches, Zoé a eu pitié d’elle. L’âge blesse les femmes plus que les hommes, l’âge fait des taches de vin et taille des ornières, griffe le visage et les mains, chiffonne tout, les joues, les paupières, arrache les cheveux, qui sont en gris et blanc. Et pourtant, elle gardait ce ruban, même au jardin, comme un morceau de ciel sur la tête. » (p. 117)
- Séquences descriptives très nombreuses qui apportent des précisions sur les événements, les personnages et les lieux.
« Soudain, une note bourrée de rage et de guitares basses remplit l’air autour d’elles, alors Zoé sort le masque rose de son cartable, et voit s’étendre Coralie, trois autres filles près d’elle, puis d’autres encore.
Couchée à son tour, elle tourne lentement la tête, aperçoit Alizé, la tête couverte d’une taie d’oreiller peinte.
Elles doivent être vingt ou trente à s’être allongées aux abords des grilles, le visage couvert. Déjà, les cris montent autour d’elles, certains applaudissent, sortent leur portable pour prendre des photos, et des voix fortes commentent. "C’est quoi, ce truc? Trop fort, mec!" […]
Elles ont réussi. Flash moche, tombées comme des mouches, oui, quarante au moins, bon, peut-être vingt-cinq, et alors, c’est bien quand même! Zoé savoure. En cet instant précis où la foule des autres applaudit la performance, elle s’offre un prix Nobel, ni plus ni moins. » (p. 154-155)
- Séquences dialoguées qui permettent de préciser les relations entre les personnages.
« Jalouse, Alizé l’a suppliée d’être méfiante.
– Il ne m’inspire pas confiance, elle a dit.
– Ben moi, il ne m’inspire pas méfiance.
– Tu fais ce que tu veux. Pour le club, j’ai réfléchi. Il faudrait un objectif.
– Quel objectif?
– Je ne sais pas. Le manifeste, je crois que ce serait bien.
– Avec nos photos?
– Non. Enfin peut-être aussi. Nos petites histoires. Ou un film. Quelque chose de fort.
– Un suicide collectif.
– …
– Non, je rigole. » (p. 68)
« – Je ne suis pas content qu’elle pleure, a répété son père, mais les femmes, elles pleurent toujours quand c’est trop tard. Retiens ça, retiens la leçon.
– Elle a fait quelque chose de mal?
– J’ai tout essayé, Zoé, voilà, c’est la vie.
– Oui, enfin, peut-être on a plusieurs vies. Tu crois en la réincarnation, toi?
– Non. Tu te vois devenir une poule, ou un ministre, ou je ne sais quoi?
– Funambule, ça j’aimerais bien, c’est mon nouveau rêve.
– Pour ça, tu n’as pas besoin de te réincarner, tu n’as qu’à suivre un cours. Moi, je me contenterai d’un seul passage en ce monde, tu sais, parce que ce monde, hein…
– Quel cirque!
– Exactement, ma fille! » (p. 133)