Contenu
- Trois personnages principaux, Abilio, narrateur, garçon portugais qui trouve son prénom ridicule et décide de s’appeler Luis, Maria Constança, cousine aimée de tous et âgée de 85 ans, ainsi que la dame au chapeau de fruits et au foulard rose qui souffre de folie et qui raconte une partie de sa vie à Abilio dans l’autobus; quelques personnages secondaires dont Luisa, amie d’Abilio, Maria Estela, mère d’Abilio, le cousin Elias, qui prendra soin de Maria Constança, tante Constancinha, qui aime faire la leçon aux autres, le grand-père d’Abilio et Bernardino, l’époux défunt de la dame dans l’autobus.
« – Je ne manque pas de jugeote, ai-je dit avec déjà beaucoup moins de solennité dans la voix. C’est à vous qu’elle a dû manquer le jour où vous m’avez donné le si joli prénom d’Abilio. Et par-dessus le marché, aujourd’hui, tante Constancinha n’a rien trouvé de mieux à faire que de m’appeler Bibi. Devant mes amis, à l’école. J’avais l’air fin, ma parole! C’est pourquoi, je vous préviens : à partir de maintenant, je ne réponds plus qu’au prénom de Luis. Abilio est mort, a émigré, a été enlevé, il a eu une attaque de variole, ce que vous voudrez, mais c’est terminé et que personne ne s’avise désormais de m’appeler comme ça. » (p. 40-41)
« Elle se tourne vers moi et me glisse à l’oreille :
– Ils disent que je suis folle. Mais c’est moi qui sais. Moi je sais que les fous, ce sont eux. Alors, je m’en moque. Je les laisse penser ce qu’ils veulent. Mais ils sont toujours derrière mon dos. Tu les as vus, tout à l’heure?
Ils m’ont accompagnée jusqu’au car, ils doivent avoir dit à tout le monde que je suis folle. À toi aussi, certainement, mais ce n’est pas grave. Je m’en moque. C’est moi qui sais. Alors comme ça, de temps en temps, je prends le car et je vais à Lisbonne pour visiter la famille. » (p. 89)
« Mais la cousine Maria Constança me souriait, comme si finalement tout cela n’avait aucune importance :
– Non, ce n’est pas un joli prénom! Je suis désolée, mais parfois, on ne réfléchit pas assez à ce que l’on fait… A une époque… ne ris pas car c’est vrai!… c’était pour moi le plus beau prénom du monde. Je me disais que si j’avais un fils, il s’appellerait Abilio. Quand je disais « Abilio », il me semblait entendre le bruit du vent qui passe entre les arbres…
Elle eut un petit rire :
– Romantisme que tout ça, mon enfant! Romantisme! Comme je ne me suis pas mariée et que je n’ai jamais eu d’enfant à qui donner ce prénom, quand tu es né, je l’ai proposé à tes parents qui n’avaient pensé qu’à des prénoms de fille… » (p. 123)
- Récit invitant à la réflexion sur l’identité personnelle, la vie et la mort; œuvre pouvant intéresser le lectorat visé de par les thèmes exploités (p. ex., amitié, amour, famille, folie, mort, choix d’un prénom, voyage).
- Mise en page dégagée; texte réparti en vingt chapitres non titrés et non numérotés dont dix chapitres écrits en caractères italiques, mettant l’accent sur le voyage de retour à Lisbonne en autobus; éléments graphiques (p. ex., italiques, tirets, points de suspension, traits d’union, parenthèses, astérisques et notes explicatives en bas de page, guillemets) facilitant l’interprétation de l’œuvre; courte biographie de l’auteure et liste d’œuvres de la même collection à la fin du livre.
Langue
- Registre de langue courant dans l’ensemble de l’œuvre; mots moins connus (p. ex., cancres, fainéants, acabit, tropismes, dodeline, exsangues) généralement compréhensibles grâce au contexte et aux notes explicatives en bas de page.
- Texte contenant une variété de types et de formes de phrases qui ajoutent du dynamisme à la lecture.
« Quelques minutes plus tard, le père mit la voiture en marche, passa la première qui grinça un peu parce qu’il était nerveux et avait mal appuyé sur l’embrayage et, entre les feux rouges et verts, il suivit, en klaxonnant, la route qui menait à l’hôpital.
La mère qui était beaucoup plus calme que lui, dit :
– Il n’est quand même pas nécessaire que tu roules à cette allure!
Il s’indigna :
– Et si l’enfant naît dans la voiture, qu’est-ce que je fais?
– Allons bon, comme s’il allait naître dans la voiture! » (p. 16)
« Je regarde discrètement ma montre. Tout mon corps est engourdi par le voyage. A l’aller, dans le train, je pouvais me promener dans les couloirs, dans le bar, jeter des coups d’œil dans les autres wagons. Mais ici, j’ai le choix entre regarder sur le côté ou regarder devant moi. Et c’est déjà beaucoup. Si j’étais magicien, comme Bernardino, je donnerais un coup de baguette magique et nous arriverions très vite à Lisbonne. Sans les idées de ma mère (« au retour, nous ne sommes pas pressés, autant prendre le car, c’est moins cher… »), à l’heure qu’il est, l’express nous aurait peut-être déjà lâchés, sains et saufs, sacs compris, sur le quai de Santa Apolonia. » (p. 151)
- Plusieurs figures de style (p. ex., énumérations, comparaisons, métaphores) qui évoquent des images dans l’esprit du lectorat.
« D’autant plus que tous mes amis avaient des prénoms parfaitement normaux : Joao, Antonio, Felipe, Miguel, Luisa, Margarida, aucun ne pouvait me servir de victime.
A ce moment-là, j’étais sans aucun doute l’être le plus malheureux de l’école, de la rue, du quartier, de la ville, du pays, de l’Europe, de l’univers entier. » (p. 23-24)
« Ensuite, il s’est lancé dans une course folle comme s’il était poursuivi par quelqu’un, comme s’il devait éteindre un incendie… Et moi je l’appelais, Abilio, Abilio! et lui il courait comme un fou furieux! » (p. 36)
« – Elle a une santé de fer! Elle n’a jamais eu la moindre grippe, la moindre rage de dents! » (p. 78)
- Séquences descriptives qui permettent de se situer dans le temps et le lieu de l’action et qui témoignent des émotions ressenties par les personnages.
« Avant d’aller me coucher, j’ai fait un saut chez le cousin Raul. La cousine Maria Constança somnolait, son corps menu disparaissait au milieu des oreillers. La cousine Clara, assise à son chevet, a porté son doigt à sa bouche pour me demander de ne pas faire de bruit.
Sur la pointe des pieds, je me suis approché du lit de ma cousine Maria Constança, je me suis penché et lui ai donné un léger baiser sur le front.
– Bonne nuit, cousine!
Elle n’a pas répondu mais elle a ouvert les yeux et elle a souri. » (p. 183)
« L’autocar prit un tournant et entra dans le garage du terminus de Lisbonne. Je ne pensais qu’à une chose : arriver, prendre une douche froide, et me jeter sur le lit.
Les journées passées à Gafanha, le voyage de retour m’avaient profondément troublé. J’avais besoin de me reposer et de tout raconter à Luisa.
Il y a beaucoup de choses qu’elle ne croirait jamais, les histoires de la vieille dame, la naissance du veau sous mes yeux et si près de mes mains. Je me suis dit soudain que ce serait peut-être à son tour de passer pour une idiote. Il fallait bien que ça arrive une fois. Les hommes ont aussi droit à quelques victoires, tout de même ! » (p. 189)
- Séquences dialoguées qui révèlent les relations entre les personnages.
« – Mais c’est que nous ne sommes pas habitués à vous voir malade…
– Il fallait bien que cela arrive un jour, personne n’est éternel. Et moi, malgré les apparences, je traîne ici-bas depuis déjà un certain temps. On se fatigue au bout d’un moment…
– Allons bon, vous n’êtes jamais fatiguée, dit ma mère, en bordant le lit et tapotant les oreillers.
Ma cousine Maria Constança sourit. Je remarque seulement les nombreuses rides qui sillonnent son visage et comme ses mains tremblent sur le revers des draps.
– Si, je suis fatiguée. J’ai bientôt 85 ans, Maria Estela! Il est grand temps d’être fatiguée. Maintenant, c’est à leur tour.
Elle nous montre du doigt, Ana Constança et moi.
– A notre tour de faire quoi? ai-je demandé.
– De faire avancer les choses.
Elle parlait de façon amusante. Ma tante Constancinha, elle, nous aurait déjà assené un sermon.
– Mais promettez-moi de ne jamais faire de votre vie quelque chose d’ennuyeux. Il n’y a rien de pire que l’ennui, et que le laisser-aller. Autre chose : ne portez jamais de noir.
– Même quand les personnes meurent? demanda Ana Constança, stupéfaite.
La cousine Maria Constança eut un petit rire :
– Surtout quand les personnes meurent. Si nous les aimons vraiment, il faut se souvenir d’elles dans la joie, comme si elles étaient toujours auprès de nous. » (p. 100-102)