- Un personnage principal, Corinne, fillette lourdement handicapée, prisonnière dans un corps inanimé, mais lucide d’esprit; plusieurs personnages secondaires gravitant autour de Corinne, dont sa mère Magalie, son père Raymond, son frère aîné Benoît, sa petite sœur Safiya, et sa grand-mère Colette.
« Sans Benoît, je n’ai ni jambes ni mains. Car où courait mon frère, je courais aussi grâce aux histoires qu’il rapportait plus tard à la maison; et les objets qu’il brandissait devant mes yeux, j’en appréhendais le poids et la texture. Sans Benoît, le monde a rétréci, ramené à ce que je peux en voir et flairer. » (p. 40-41)
« Puisque je n’ai jamais babillé, Magalie ne craint pas ce qui pourrait sortir de ma bouche. Elle a omis le domptage, tout comme la censure. De fait, elle a pris l’habitude de se confesser à moi de ce qu’elle n’ose avouer à personne d’autre : que le ragoût de boulettes de grand-mère Colette la dégoûte; qu’elle reste pleine de rancœur envers Sarah, même si elle sacrifierait volontiers un de ses propres reins pour lui sauver la vie; et, encore, qu’elle lutte régulièrement contre le désir de découper au hachoir les innocents (parmi eux des membres de la famille) qui disent, supposément pour la réconforter, que la science découvrira un jour un moyen de me réparer. » (p. 44)
« Magalie cumule les fonctions de comptable, puéricultrice et cuisinière. Raymond nourrit les gens de la ville. Benoît prendra un jour sa relève. Et moi? Les confessions que je recueille, Magalie pourrait les confier à un rocher ou à un chat avec le même résultat. Je sème la zizanie dans la famille; à cause de moi, grand-père et grand-mère Larose nous ont désertés. Je ne suis pas seulement inutile, je suis nocive. » (p. 80)
« – Ouais, si je comprends bien ce que tu me dis, non seulement Corinne est condamnée à passer sa vie clouée dans un fauteuil roulant, mais, de surcroît, elle va en être pleinement consciente? Elle va être assez lucide pour se désoler de tout ce qu’elle ne pourra jamais faire, des lieux qu’elle ne pourra jamais visiter et des expériences que Benoît et Safiya vont vivre, mais qui vont demeurer à jamais hors de sa portée à elle? Je regrette, moi, je ne trouve pas que c’est une bonne nouvelle. Au contraire, ça me fend le cœur; et, pour tout te dire, je trouve que c’est le comble de l’injustice. » (p. 133)
- Narratrice à la fois participante et témoin, Corinne, qui permet aux lectrices et aux lecteurs de savoir ce qui se passe dans la tête d’un corps qui n’a pas la possibilité de communiquer.
« Je regarde de loin mon corps secoué de convulsions. Lorsque le calme revient dans mes membres et que ma conscience réintègre son vaisseau charnel, je n’aspire qu’à dormir. » (p. 155-156)
« J’ai été; je m’envole. Mon seul regret : j’aurais voulu, avant de répondre à l’appel du large, faire éclore sur le visage de Magalie un sourire odorant comme une rose. J’aurais aussi voulu dire à Raymond l’amour que, malgré tout, j’ai pour lui; il m’entendra lorsqu’il acceptera d’écouter, quand il laissera dedans la lumière briller. Safiya l’y aidera.
Je pars, mais une part de moi, pour toujours, les accompagnera. L’écho de mes silences jacasseurs se prolongera longtemps dans leurs oreilles. Un jour, ils l’entendront. » (p. 200-201)
- Descriptions détaillées qui situent bien les lieux et temps de l’action et qui permettent de s’immiscer dans l’esprit et l’imaginaire très riche de la narratrice.
« Le temps n’est pas linéaire, contrairement à ce que présument la plupart des adultes. Un mouvement de la pensée, il n’en faut pas plus pour remonter son cours. Nous roulons dans la nuit, moi râlant et grelottant sous mon tas de couvertures; elle, penchée sur le volant, yeux plissés pour distinguer la route à travers le blizzard. Cependant, à peine absentées du présent, nous y revenons. » (p. 37)
« J’ai une image de l’école dans ma tête, de l’école telle que mon frère la décrit : la cour de récréation, les rangées de pupitres bien alignés, les gamins qui tirent les tresses des filles tandis que l’enseignante a le dos tourné, les cahiers de leçons, la palestre où les élèves jouent au ballon quand le froid mord trop fort, la hiérarchie des classes réparties de la maternelle à la sixième année. Mon école à moi n’y ressemble pas. » (p. 122)
« Cinq jours durant, la pluie tombe, mais le retour du beau temps ne signifie pas un retour à la normale. Il faut encore rebâtir le réseau de transport d’électricité que la nature a détruit. À la légèreté des vacances, succède le poids de l’attente. » (p. 171)
- Thèmes et sujets parfois délicats (p. ex., attitude des gens, handicap sévère, racisme, droit à la vie, suicide) présentés en contexte, abordés avec réalisme et incitant à la réflexion.
« – Vous avez une fillette belle à croquer. Comment s’appelle-t-elle? […]
Bien vite, de longues traînées de bave mouillent mon menton, mon bavoir et mes manches. […] En pleine distribution de couvertures et d’écouteurs, l’agente de tout à l’heure lance vers moi un regard consterné entre ses "donnes". Elle ne voit plus la beauté. Elle voit son pire cauchemar. » (p. 26-28)
« – J’suis un fardeau pour toi, mais au moins, j’en ai plus pour longtemps. Elle, ’stie, est un fardeau que notre fils et l’anglophone vont devoir porter jusqu’à leur tombe. La meilleure chose, pour tout le monde, aurait été de la laisser mourir. Mais la bru a insisté, a supplié les médecins. Elle se sentait coupable, j’imagine. C’est sûr que ça vient pas de notre bord, les infirmités. Maudits gènes importés. » (p. 62)
« – En vérité, moi, je voudrais plus vivre si je me retrouvais incapable de marcher, dépendant des autres pour manger, me laver, m’habiller… Je me suiciderais. Est-ce que ça fait de moi un lâche? J’sais pas. Endurer la martyre, subir chirurgie sur chirurgie, c’est pas une vie, ça. Je vois bien que t’en as assez. Mais toi, tu peux pas te suicider. Ton seul espoir serait que quelqu’un t’aime assez pour te suicider à ta place. » (p. 196-197)