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Un jour, ils entendront mes silences

J’ai été morte. Les médecins m’ont ramenée à la vie mais, pour Raymond Larose, mon père, je n’ai toujours été qu’une morte vivante. L’essentiel lui échappe : il refuse de voir qu’il en va de la beauté comme des bavoirs, que tout ce qui vole n’a pas deux ailes, et que le réel s’apprête comme la dinde.

Corinne est une fillette lourdement handicapée. Elle ne peut ni bouger - ou si peu - ni parler. À travers ses yeux, néanmoins très lucides, nous sommes témoins de ses petites victoires, mais aussi des exigences, des soucis et des déchirures que son état finit par entraîner dans sa famille. Son désir le plus cher : vivre malgré les différences…

Un regard neuf et émouvant sur les peines, les limitations, mais aussi les joies d’une enfant pas comme les autres, qui ébranle nos conceptions de la normalité.

(Tiré de la quatrième de couverture du livre.)

À propos du livre

Contenu

  • Un personnage principal, Corinne, fillette lourdement handicapée, prisonnière dans un corps inanimé, mais lucide d’esprit; plusieurs personnages secondaires gravitant autour de Corinne, dont sa mère Magalie, son père Raymond, son frère aîné Benoît, sa petite sœur Safiya, et sa grand-mère Colette.

    « Sans Benoît, je n’ai ni jambes ni mains. Car où courait mon frère, je courais aussi grâce aux histoires qu’il rapportait plus tard à la maison; et les objets qu’il brandissait devant mes yeux, j’en appréhendais le poids et la texture. Sans Benoît, le monde a rétréci, ramené à ce que je peux en voir et flairer. » (p. 40-41)

    « Puisque je n’ai jamais babillé, Magalie ne craint pas ce qui pourrait sortir de ma bouche. Elle a omis le domptage, tout comme la censure. De fait, elle a pris l’habitude de se confesser à moi de ce qu’elle n’ose avouer à personne d’autre : que le ragoût de boulettes de grand-mère Colette la dégoûte; qu’elle reste pleine de rancœur envers Sarah, même si elle sacrifierait volontiers un de ses propres reins pour lui sauver la vie; et, encore, qu’elle lutte régulièrement contre le désir de découper au hachoir les innocents (parmi eux des membres de la famille) qui disent, supposément pour la réconforter, que la science découvrira un jour un moyen de me réparer. » (p. 44)

    « Magalie cumule les fonctions de comptable, puéricultrice et cuisinière. Raymond nourrit les gens de la ville. Benoît prendra un jour sa relève. Et moi? Les confessions que je recueille, Magalie pourrait les confier à un rocher ou à un chat avec le même résultat. Je sème la zizanie dans la famille; à cause de moi, grand-père et grand-mère Larose nous ont désertés. Je ne suis pas seulement inutile, je suis nocive. » (p. 80) 

    « – Ouais, si je comprends bien ce que tu me dis, non seulement Corinne est condamnée à passer sa vie clouée dans un fauteuil roulant, mais, de surcroît, elle va en être pleinement consciente? Elle va être assez lucide pour se désoler de tout ce qu’elle ne pourra jamais faire, des lieux qu’elle ne pourra jamais visiter et des expériences que Benoît et Safiya vont vivre, mais qui vont demeurer à jamais hors de sa portée à elle? Je regrette, moi, je ne trouve pas que c’est une bonne nouvelle. Au contraire, ça me fend le cœur; et, pour tout te dire, je trouve que c’est le comble de l’injustice. » (p. 133)
     

  • Narratrice à la fois participante et témoin, Corinne, qui permet aux lectrices et aux lecteurs de savoir ce qui se passe dans la tête d’un corps qui n’a pas la possibilité de communiquer.

    « Je regarde de loin mon corps secoué de convulsions. Lorsque le calme revient dans mes membres et que ma conscience réintègre son vaisseau charnel, je n’aspire qu’à dormir. » (p. 155-156)

    « J’ai été; je m’envole. Mon seul regret : j’aurais voulu, avant de répondre à l’appel du large, faire éclore sur le visage de Magalie un sourire odorant comme une rose. J’aurais aussi voulu dire à Raymond l’amour que, malgré tout, j’ai pour lui; il m’entendra lorsqu’il acceptera d’écouter, quand il laissera dedans la lumière briller. Safiya l’y aidera.
    Je pars, mais une part de moi, pour toujours, les accompagnera. L’écho de mes silences jacasseurs se prolongera longtemps dans leurs oreilles. Un jour, ils l’entendront. » (p. 200-201)
     

  • Descriptions détaillées qui situent bien les lieux et temps de l’action et qui permettent de s’immiscer dans l’esprit et l’imaginaire très riche de la narratrice.

    « Le temps n’est pas linéaire, contrairement à ce que présument la plupart des adultes. Un mouvement de la pensée, il n’en faut pas plus pour remonter son cours. Nous roulons dans la nuit, moi râlant et grelottant sous mon tas de couvertures; elle, penchée sur le volant, yeux plissés pour distinguer la route à travers le blizzard. Cependant, à peine absentées du présent, nous y revenons. » (p. 37)

    « J’ai une image de l’école dans ma tête, de l’école telle que mon frère la décrit : la cour de récréation, les rangées de pupitres bien alignés, les gamins qui tirent les tresses des filles tandis que l’enseignante a le dos tourné, les cahiers de leçons, la palestre où les élèves jouent au ballon quand le froid mord trop fort, la hiérarchie des classes réparties de la maternelle à la sixième année. Mon école à moi n’y ressemble pas. » (p. 122)

    « Cinq jours durant, la pluie tombe, mais le retour du beau temps ne signifie pas un retour à la normale. Il faut encore rebâtir le réseau de transport d’électricité que la nature a détruit. À la légèreté des vacances, succède le poids de l’attente. » (p. 171)
     

  • Thèmes et sujets parfois délicats (p. ex., attitude des gens, handicap sévère, racisme, droit à la vie, suicide) présentés en contexte, abordés avec réalisme et incitant à la réflexion.

    « – Vous avez une fillette belle à croquer. Comment s’appelle-t-elle? […]
    Bien vite, de longues traînées de bave mouillent mon menton, mon bavoir et mes manches. […] En pleine distribution de couvertures et d’écouteurs, l’agente de tout à l’heure lance vers moi un regard consterné entre ses "donnes". Elle ne voit plus la beauté. Elle voit son pire cauchemar. » (p. 26-28)

    « – J’suis un fardeau pour toi, mais au moins, j’en ai plus pour longtemps. Elle, ’stie, est un fardeau que notre fils et l’anglophone vont devoir porter jusqu’à leur tombe. La meilleure chose, pour tout le monde, aurait été de la laisser mourir. Mais la bru a insisté, a supplié les médecins. Elle se sentait coupable, j’imagine. C’est sûr que ça vient pas de notre bord, les infirmités. Maudits gènes importés. » (p. 62)

    « – En vérité, moi, je voudrais plus vivre si je me retrouvais incapable de marcher, dépendant des autres pour manger, me laver, m’habiller… Je me suiciderais. Est-ce que ça fait de moi un lâche? J’sais pas. Endurer la martyre, subir chirurgie sur chirurgie, c’est pas une vie, ça. Je vois bien que t’en as assez. Mais toi, tu peux pas te suicider. Ton seul espoir serait que quelqu’un t’aime assez pour te suicider à ta place. » (p. 196-197)

Langue

  • Registre soutenu dans l’ensemble de l’œuvre en raison de l’écriture qui s’apparente à de la poésie en prose; expressions empruntées au registre populaire dans certains dialogues.

    « Le soleil brille. Ses rayons, filtrés par la roseraie, dessinent des ombres énigmatiques sur le mur de la maison. Qui soupçonnerait, en regardant ce noir lacis, la beauté et le parfum sublime des fleurs? » (p. 11)

    « Mon altitude augmente de seconde en seconde. Voilà que l’aura dorée du soleil baigne tout le paysage. Le temps ralentit, jusqu’à s’arrêter presque. Dans ses interstices, je recouvre la mémoire de l’éternel présent. Même si trop étriquée pour l’intérioriser tant que cette voix me garde amarrée au corps là-bas, dans les hautes herbes, j’en discerne assez. » (p. 42)

    « – J’te savais pas "classiste", maman. De toute façon, tu te fourvoies en ramenant ’stie, câlisse, tabarnac p’is le reste de la chapelle à une question de classe sociale. C’est pas une question de classe, mais de culture. Quand je dis ’stie, j’affirme mon identité québécoise, OK? Naturellement, je m’attends pas à ce que tu comprennes. » (p. 191)
     

  • Lexique évocateur des différents thèmes et sujets délicats présentés dans l’œuvre (p. ex., maladie, handicap, souffrance, culpabilité).

    « – Quand vas-tu rentrer ça dans ton crâne? Jamais notre fille ne va tendre les bras vers nous pour se faire prendre. Jamais elle ne va courir à ma rencontre en criant "maman!" Un fossé la sépare déjà des autres enfants, et il va continuer à se creuser. As-tu idée de ce que ça me fait en dedans? » (p. 13)

    « – […] Quand Corinne était à la néonatalogie, j’avais tellement peur qu’elle ne survive pas. C’était mon bébé. Un morceau de moi. Il m’importait peu qu’elle soit parfaite, je voulais juste qu’elle vive. Je ne l’avais tout de même pas portée pendant tous ces mois pour la regarder mourir! Je me suis blâmée. Oh! tu n’as pas idée à quel point je me suis blâmée… » (p. 37)

    « Je rage et tempête contre Magalie et Kathleen, mais contre moi surtout, contre mon incapacité à jouir pleinement du temps passé hors de mes prisons de plastique, de mousse et de métal, comme la joyeuse promenade en traîneau dans la neige fraîchement tombée, ce matin. Mes libérations conditionnelles et provisoires rendent encore plus détestable mon retour à l’incarcération thérapeutique. » (p. 69)
     

  • Nombreuses figures de style et procédés stylistiques (p. ex., métaphore, personnification, paradoxe, euphémisme) qui ajoutent de la couleur au texte.

    « Magalie a répondu avec l’indolence d’un hippopotame au bain que les parents d’enfants handicapés avaient un taux de divorce supérieur à la moyenne. Je pleus sur son mariage. J’irai pleuvoir aux confins des nues, où les gouttes d’eau éclatent en arcs-en-ciel. » (p. 41)

    « Dans mon estomac, mon déjeuner fait des culbutes et des cabrioles. » (p. 119)

    « Au loin, j’entends une musique d’accordéon tristement gaie, qui tourne et trotte sous les guirlandes de lumières. "Approchez!" crie un clown pathétique. » (p. 187)

    « J’ai vu venir la fin; j’ai senti très tôt l’attraction du large. Chaque vie, chaque rivière a son cours et son embouchure. Les piscines se déversent dans les égouts puis les rivières et les fleuves pour aboutir à l’océan. Je nagerai bientôt librement avec les baleines. J’accueille la dissolution du temps et de la douleur. » (p. 200)

Référent(s) culturel(s)

  • Quelques allusions à des référents culturels de la francophonie (p. ex., émission pour enfants Félix et Ciboulette, Piaf, Adamo, Le Petit Prince).

Pistes d'exploitation

  • Demander aux élèves d’apprécier la valeur littéraire de l’œuvre en en faisant ressortir les différents procédés stylistiques et narratifs.
  • Proposer aux élèves d’effectuer des recherches sur la paralysie cérébrale, notamment en ce qui a trait aux traitements possibles et aux méthodes utilisées pour faciliter la communication (p. ex., les matrices Raven, le tableau Bliss, les interventions chirurgicales).
  • Inviter les élèves à faire des recherches portant sur le cas de Robert et de Tracy Latimer, auquel on fait allusion dans l’œuvre, puis étudier avec les élèves le débat juridique canadien au sujet de l’euthanasie et les inviter à émettre leur jugement personnel sur cet enjeu.

Conseils d'utilisation

  • Accorder une attention particulière à certains thèmes et sujets délicats dont il est question dans l’œuvre (p. ex., maladie, handicap, mort, suicide, préjugé).
  • Informer les élèves au sujet de la paralysie cérébrale puisqu’il est question de cette maladie dans l’œuvre.