- Roman de science-fiction se déroulant dans une Amérique du Nord contemporaine réinventée, où des mondes parallèles s’entrecroisent et où les rêves se mêlent à la réalité.
« Voilà un cauchemar, un vrai : ne plus savoir où est la réalité. Le rêve qu’elle venait de faire se rangeait dans la même catégorie : il avait les mêmes caractéristiques, parfaite netteté, certitude absolue d’être éveillée – logique d’une absurdité totale. » (p. 008)
« Pour éviter une conversation, elle ouvrit en hâte le volume qu’elle avait sorti, à la table des matières. La colonisation : premiers arrivants… peuples colonisateurs… les Français… le peuple britannique… les tribus amérindiennes… Non. La Conquête… Peut-être. L’émigration en Louisiane… La guerre de Vingt Ans… Traité d’York… Le nouveau Canada… Province de l’Est… de l’Ouest… Rien sur le Nord. Mais le Nord est-il canadien, au fait? » (p. 066)
« Il existe une autre dimension du monde, et elle y est tombée par accident. Elle a été transformée, mais pas assez: elle n’appartient plus à son monde d’origine, mais elle n’est pas non plus de ce monde-ci – qui lui ressemble mais en est distinct… » (p. 377)
« …les Fortin, et tous les gens comme eux à Montréal, à Québec, dont elle se souvenait si exactement, comment pouvaient-ils exister dans le même univers que des visions, des rêves, des Divinités Endormies et des Enfants amnésiques? » (p. 381)
- Un personnage principal, Catherine Rhymer, jeune femme troublée par d’étranges rêves et trous de mémoire et mêlée malgré elle à une intrigue mettant sa vie en péril; personnage complexe présenté sous deux formes, soit la Catherine de la réalité et la Catherine des visions.
« J’ai des visions, Sarah. C’est normal, je sais, mais les miennes… y a-t-il des visions anormales? […]
– J’avais oublié des détails de procédure, au Collège, à la bibliothèque. Et puis, des choses que tout le monde sait, on m’en parle, et tout d’un coup je me rends compte que ça ne me dit rien. Ensuite, ça me revient. Comme pour la vision. Je me suis rappelé tout d’un coup que c’était normal d’avoir des visions. Mais en même temps… je continue à trouver ça… bizarre que ce soit normal. » (p. 081-082)
« La voiture continuait sur Brampton, direction sud, sud-est même, allait-elle soudain se retrouver capable d’utiliser à volonté les capacités pigeonnières de son alter ego? Avec un petit sursaut intérieur, elle se rendit compte que l’expression lui était venue de façon routinière, une idée maintenant familière. Un "autre moi". Décidément, elle collectionnait les étiquettes de la pathologie mentale : paranoïa, schizophrénie, hystérie, dédoublement de personnalité, et quoi encore? » (p. 225)
« Mais il y a eu comme un raté, un hoquet dans ce rêve au moment où elle a vu son visage à la surface miroitante de l’eau. C’est d’être étonnée, peut-être, qui l’a éloignée ainsi en observatrice dans son propre rêve? Le visage était le sien, mais jeune, guère plus de vingt ans, bien plus dur et anguleux que le sien ne l’a jamais été. D’ailleurs, le corps mince et musclé qui est assis là-bas au bord de la fontaine, vêtu d’une courte tunique rouge sans manches serrée à la taille, n’a jamais été le sien. Mais d’une façon ou d’une autre, c’est elle, elle est en contact avec cette jeune Catherine-du-rêve, elle ressent une partie de ses émotions, elle devine une partie de ses pensées – mais par bouffées, comme si un vent invisible et contraire s’obstinait à souffler en bourrasque pour les effacer. » (p. 236)
- Personnages secondaires issus du monde réel ou du monde des visions (p. ex., Joanne Nasiwi, Athana, Christine, Antoine, Charles-Henri) pivotant autour de Catherine et cherchant à travers elle la vérité et un sens à leur existence.
« L’horrible impression de solitude éprouvée au début de la soirée avait presque disparu : c’étaient ses amis malgré tout, même s’ils ne comprenaient pas très bien; ils essaieraient de l’aider, elle en était sûre; tous ensemble, ils essaieraient au moins d’élucider ce qui pouvait l’être. » (p. 183)
« Mais cela fait évidemment partie, pour Antoine, d’une vaste entreprise de manipulation et de contrôle social initiée par le gouvernement.
Et c’est pour cela que Joanne Nasiwi voudrait me recruter, parce que mes visions "hors norme" font de moi de facto une adversaire de l’ordre établi? Eh bien, je ne porte pas l’actuel ordre canadien dans mon cœur, mais c’est quand même absurde! » (p. 189)
- Narratrice omnisciente dans l’ensemble de l’œuvre tant dans le présent de la narration que dans les longues séquences évoquant les pensées, les rêves et les visions de Catherine.
« Une gifle de vent glacé vint ramener Catherine à elle. Elle repartit dans Montcalm d’un pas hésitant puis plus rapide, le bonnet à la main. Une autre vision? […] Toujours plus perplexe que désemparée, elle arriva à sa porte et gravit les marches raides. » (p. 110)
« C’est tiède, c’est salé, c’est rouge, ça lui remplit la bouche, le nez, les yeux, elle est en train de se noyer. Elle agite les bras et les jambes dans la pénombre rosâtre, ses pieds heurtent le fond, un nuage visqueux l’enveloppe mais elle remonte, elle crève la pellicule des eaux. La gorge pleine de flegme salé, elle entrevoit une plage, puis la vague se défait, l’aplatit sur le sable. » (p. 149)
- Éléments fantastiques et théorie créationniste du monde particuliers au genre de la science-fiction.
« L’essentiel, c’est "le Pont", comme disaient les Marrus.
La machine qui transfère les gens d’un univers à l’autre. » (p. 237)
« C’est le Verbe, n’est-ce pas, qui est censé avoir créé le monde? Ou du moins, dans d’autres religions que celle du Nord. Qu’essayait de dire Manesch? Que le Nord – ou le Sud – n’était qu’un assemblage de mots? Des mots dits en rêve par une Divinité qui dormait, et quand Elle se réveillerait, les mots s’effaceraient et la vraie réalité apparaîtrait? » (p. 422)
« "Nous avons développé un contrôle extrêmement précis de tout le processus. Une seconde nature, peut-on dire."
Charles-Henri murmura, d’une voix altérée : "Vous avez créé le monde. Vous êtes les Enfants."
Le vieil homme eut un petit sourire en biais : "Eh bien, oui." » (p. 499)
« C’est ainsi que se créent les êtres, les consciences : par assimilation et intégration de ce qui était là auparavant, la chair et les idées, par détachement et recréations successives, une chaîne qui n’a ni commencement ni fin. » (p. 531)
- Utilisation de l’italique pour indiquer les sauts de la réalité aux rêves et illusions ou encore les notes que Catherine écrit dans son journal personnel.
« Une voix derrière elle, déclare avec autorité : "Il faut aller plus loin."
Deux mains dans son dos, qui la poussent, elle tombe dans le lac.
Et elle est dans son lit, dans sa chambre, dans sa maison, mais pas réveillée : basculée sans transition dans le rêve des Hyperceptions. » (p. 116)
« 26 décembre.
Presque trois heures du matin, mal de tête lancinant, lucidité presque aussi douloureuse. L’ordinateur de Dominique est dans sa chambre, impossible de l’utiliser à cette heure-ci pour mettre mon journal à jour, seulement quelques feuilles de papier dans mon sac, résumons. » (p. 185)