- Des personnages variés et non récurrents (plantes et animaux dotés de raison ou humains issus de milieux modestes) voués à un destin le plus souvent tragique.
« Les épis de blé, qui vont mourir demain sous la faucheuse, s'enlacent.
– Tu pensais à demain?
– Non.
– Tu me réponds en tremblant. » (p. 23)
« Le Tigre les regarda lui aussi, un par un, lentement, calmement : il vit des blessures aux épaules de Samson, un trou dans un des sabots du cheval, et les flancs de Barbu si maigres.
Quand il crut que toute l'étable était endormie, il se tourna vers sa chaîne et la lécha sans faire de bruit. Barbu, de son lit de paille, pleura sans bouger la tête, sûr qu'on ne voyait pas ses yeux, à cause de ses longs cils, et dans le fond de son crâne de chien, il se dit :
– Le Noir est remplacé. » (p. 112)
« L'infirme vivait dans son restaurant. Seul. Même le soir quand la jeunesse s'y rassemblait pour fumer, jaser et quelquefois danser au son des disques. Surtout quand il y avait du monde, il était seul, et plus encore quand il y avait de la danse. » (p. 114)
- Un narrateur omniscient ou participant contant des histoires empreintes de réalisme desquelles se dégage une morale; séquences dialoguées permettant de saisir les émotions souvent intenses des personnages.
« Cantique se dirigea vers le temple, entra, enleva sa casquette d'hiver qu'il déposa par terre comme on dépose un paquet; il fit un grand signe de croix avec de l'eau bénite, mit les mains sur les hanches et tourna autour des trois câbles, les épiant comme un animal qui va bondir.
Et il bondit, empoigna le gros câble, grimpa dedans, boom
[…] La cloche roula, revint : Cantique en joie se cramponnait au câble, et la lourde cloche le souleva de terre; il perdit l'équilibre, tomba, se releva. Boom…
» (p. 42)
« Un jour, j'ai eu quinze ans. J'étais quasiment un homme. Le père vieillissait; ses yeux n'étaient pas bons; j'ai laissé l'école pour prendre sa place. Le village d'en face grossissait. Il y avait déjà plusieurs maisons, une rue principale, une petite usine de pulpe, puis un commencement d'église.
Ça faisait beaucoup d'ouvrage pour le chaland. C'est moi qui étais traversier. » (p. 79)
« – Nicolas, Nicolas.
– Oui, Marie.
Puis, elle a dit ceci :
– Elle danse ce soir au deuxième village. Vas-y. Si tu t'ennuies, va la voir. Ça te fera du bien; je veux pas que tu fixes le large des heures de temps. C'est pas bon, vas-y. Après, tu reviendras. Va. » (p. 85-86)
« Ici, la loi c'est "gagne ton sel ou crève". Si tu n'as rien à manger, c'est parce que tu ne mérites rien. » (p. 109)
- Écrits dont les thèmes (p. ex., amour, infidélité, courage, bonté, violence) touchent aux grandes valeurs humaines et révèlent un univers composé de bons et de méchants.
« Léonidas savait, mais espérait quand même, et sentait ses chagrins s'écraser, se vider comme des éponges, quand Thalia la belle jetait les yeux sur lui. » (p. 17)
« Une autre fille est venue casser ma vie, comme on casse un fil. [
…] Une garce qui ne parlait pas beaucoup, mais qui m'a embrouillé le cœur avec ses yeux noirs qui riaient tout le temps. » (p. 80-81)
« – Il y a deux jours. Le vent a bousculé mes œufs par terre et les a cassés.
– Que fais-tu ici?
– Je cherche des toiles d'araignées, des cocons de chenilles, des morceaux de guêpier et de la mousse.
– Approche-toi, Mésange. Tu recommences?
– Vous voyez bien. Il faut qu'il y ait encore des oiseaux dans les bois. » (p. 96)
« – C'est vrai, commença Barbu, je n'avais pas remarqué. Si je n'étais pas enchaîné, je te porterais ma viande. C'est un oubli. Le maître va revenir. C'est un oubli.
– Il est mieux de revenir, sacra le Tigre, parce qu'à la prochaine occasion, je lui broie un genou. » (p. 108-109)