- Œuvre pluridimensionnelle, de structure souple, à la fois récit autobiographique et essai, axée sur la passion de l’auteure pour la création littéraire et la littérature.
« Et c’est ainsi que je suis née à midi, que j’ai entendu de mes oreilles sonner l’angélus et reconnu la voix paternelle qui m’annonçait que je serais un verbe. […]
Le verbe s’était fait chair. Ce que j’ignorais, que j’ai ignoré toute ma vie et commence à peine à découvrir, découverte que j’avoue même être le moteur premier de ce livre, c’est le rôle du verbe, le Verbe, dans toute entreprise d’écriture qui, veut, veut pas, ne sera jamais qu’une tentative de plus de retrouver le sens premier du premier livre, jamais écrit mais incarné dans la Création. » (p. 23-24)
« Vous croyez lire un livre qui raconte la vie d’un écrivain. Vrai et faux. La vie que je raconte déborde la mienne pour englober celle de tous mes personnages […] L’écriture, un anti-destin. Le combat ultime contre la mort. » (p. 130)
« – Puisque vous me le demandez, je vous dirai qu’en ce moment, le genre qui me passionne est la littérature orale. J’ai vu sa bouche se tordre, ses yeux se révulser et j’ai deviné sa réponse avant qu’elle n’atteigne mes oreilles :
– Pardon, ici nous n’enseignons que la Grande Littérature.
Et vlan! Les majuscules sont de moi.
Je n’ai pas enseigné à McGill. Et pour gagner ma vie durant les quelques mois qui ont suivi cette entrevue, j’ai écrit La Sagouine. » (p. 160)
- Narratrice participante, s’adressant au lectorat auquel elle explique le processus d’écriture et raconte des histoires; quelques rares séquences dialoguées qui illustrent les propos de l’auteure.
« J’ai passé la nuit, moitié en rêve, moitié en éveil, à tourner autour de ce personnage. Une ébauche de personnage. Même pas une esquisse. Un brouillon? » (p. 152)
« …ce n’est pas cette fois pour le seul bonheur de raconter une belle histoire. C’est pour demander à ceux d’entre vous qui ont encore en mémoire leurs classiques, à quoi ce récit vous fait penser. À la tragédie cornélienne d’Horace, bien sûr. » (p. 166-167)
« Quand Viola me rapporte comment […] dans la plupart des provinces de France où elle a promené le spectacle, elle a vécu des moments de réconciliation entre les siècles, je me réconcilie moi-même avec le temps. Quand les Vendéens, a-t-elle ajouté, jubilaient d’entendre sortis d’Amérique trois cents ans plus tard les mots dont ils s’imaginaient être les seuls dépositaires : cobir, le cagouette les usses…
– Ça fait qu’imagine-toi quand j’ai sorti ça fait zire! Là j’ai vraiment cru qu’on allait soulever le toit du théâtre. » (p. 215)
- Séquences narratives et descriptives, truffées d’extraits d’œuvres littéraires, servant, entre autres, à illustrer le cheminement de l’auteure et à représenter des idées parfois abstraites (p. ex., le rire).
« J’avais été invitée à saluer le public venu en nombre imposant pour assister à ce que l’histoire retiendrait comme le premier lancement de livre en territoire acadien. Et je m’étais plainte de l’absence, lors de l’événement, de la personne qui eût le plus mérité d’y figurer. Car la Sagouine… » (p. 45-46)
« Les muses?
Je crois entendre Rimbaud : "J’allais sous le ciel, Muse, et j’étais ton féal." J'ai cru pendant de longues années, non, de brèves années, que les muses ne parlaient qu’aux Rimbaud et autres immortels. J’appartenais à un monde bien différent… » (p. 47)
« J’ai pourtant appris en fréquentant Gargantua et Pantagruel que Rabelais est sans doute moins rabelaisien que ses autres disciples. […] Le rire chez nous comme chez lui est rarement gratuit, plus qu’une décharge du diaphragme, il a du sens. Il est surtout un exorcisme. Comment expliquer autrement le rire des multiples femmes du docteur qui assistent en gants blancs et chapeau de velours aux satires de la Sagouine qui ne les ménage pas? (p.78)
- Thèmes convenant à un lectorat avisé (p. ex., écriture, passage du temps, langues française et acadienne) et qui témoignent de l’érudition de l’auteure.
« Même si je croyais fermement à l’écriture, même si j’ai été consciente du risque de sombrer dès mon premier plongeon au fond de la mer la plus sombre, dans la plus solitaire des solitudes, la plus folle des folies, je n’y pouvais rien, je huchais après mon destin de m’attendre, de ne pas me laisser m’égarer dans la littérature des autres, qu’il me fallait chanter le seul chant dont j’étais porteuse, et qui m’avait bercée depuis mes limbes immémoriaux. » (p. 41)
« Combien de fois ai-je ragé de n’avoir qu’une vie, une pauvre petite vie de quatre-vingts, peut-être cent ans […] De toute façon, ce sera toujours trop peu pour me faire anthropologue, archéologue, spéléologue… » (p. 99)
« Ma langue est une version acadienne du français universel […] par son accent qui reproduit encore de fort belles pages de Molière, par son intonation qui refuse de marteler l’accent tonique sur la dernière syllabe mais se fait chantante en empruntant le rythme de la mer. » (p. 156)