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Fais confiance à la mer, elle te portera

Dans Fais confiance à la mer, elle te portera, Antonine Maillet traite de la nécessité d’écrire.

L’écriture serait-elle une compensation pour les limites de mon existence? l’avant que je n’ai pas connu, l’après que je ne connaîtrai pas, les ailleurs que je n’aurai pas le temps de visiter, les êtres que je ne rencontrerai pas ou que j’aurais pu fréquenter s’ils avaient abouti à la vie, le temps qui finira par me trahir? Mais c’est là une compensation qui peut se tourner contre moi. L’appétit vient en mangeant. Plus je vois le temps se rétrécir, plus mes yeux s’agrandissent sur les infinis possibles à ma portée. C’est maintenant que je voudrais commencer à raconter.

Est-ce le paradoxe de l’existence ou sa beauté? Je découvre chaque jour la vie d’autant plus précieuse qu’elle est éphémère. Si j’avais l’éternité pour la dire, je ne commencerais jamais mon livre. Le temps qui me presse devient tout à coup mon allié.

(Tiré de la quatrième de couverture du livre.)

À propos du livre

Contenu

  • Œuvre pluridimensionnelle, de structure souple, à la fois récit autobiographique et essai, axée sur la passion de l’auteure pour la création littéraire et la littérature.

    « Et c’est ainsi que je suis née à midi, que j’ai entendu de mes oreilles sonner l’angélus et reconnu la voix paternelle qui m’annonçait que je serais un verbe. […]
    Le verbe s’était fait chair. Ce que j’ignorais, que j’ai ignoré toute ma vie et commence à peine à découvrir, découverte que j’avoue même être le moteur premier de ce livre, c’est le rôle du verbe, le Verbe, dans toute entreprise d’écriture qui, veut, veut pas, ne sera jamais qu’une tentative de plus de retrouver le sens premier du premier livre, jamais écrit mais incarné dans la Création. » (p. 23-24)

    « Vous croyez lire un livre qui raconte la vie d’un écrivain. Vrai et faux. La vie que je raconte déborde la mienne pour englober celle de tous mes personnages […] L’écriture, un anti-destin. Le combat ultime contre la mort. » (p. 130)

    « – Puisque vous me le demandez, je vous dirai qu’en ce moment, le genre qui me passionne est la littérature orale. J’ai vu sa bouche se tordre, ses yeux se révulser et j’ai deviné sa réponse avant qu’elle n’atteigne mes oreilles :
    – Pardon, ici nous n’enseignons que la Grande Littérature.
    Et vlan! Les majuscules sont de moi.
    Je n’ai pas enseigné à McGill. Et pour gagner ma vie durant les quelques mois qui ont suivi cette entrevue, j’ai écrit La Sagouine. » (p. 160)
     

  • Narratrice participante, s’adressant au lectorat auquel elle explique le processus d’écriture et raconte des histoires; quelques rares séquences dialoguées qui illustrent les propos de l’auteure.

    « J’ai passé la nuit, moitié en rêve, moitié en éveil, à tourner autour de ce personnage. Une ébauche de personnage. Même pas une esquisse. Un brouillon? » (p. 152)

    « …ce n’est pas cette fois pour le seul bonheur de raconter une belle histoire. C’est pour demander à ceux d’entre vous qui ont encore en mémoire leurs classiques, à quoi ce récit vous fait penser. À la tragédie cornélienne d’Horace, bien sûr. » (p. 166-167)

    « Quand Viola me rapporte comment […] dans la plupart des provinces de France où elle a promené le spectacle, elle a vécu des moments de réconciliation entre les siècles, je me réconcilie moi-même avec le temps. Quand les Vendéens, a-t-elle ajouté, jubilaient d’entendre sortis d’Amérique trois cents ans plus tard les mots dont ils s’imaginaient être les seuls dépositaires : cobir, le cagouette les usses
    – Ça fait qu’imagine-toi quand j’ai sorti ça fait zire! Là j’ai vraiment cru qu’on allait soulever le toit du théâtre. » (p. 215)
     

  • Séquences narratives et descriptives, truffées d’extraits d’œuvres littéraires, servant, entre autres, à illustrer le cheminement de l’auteure et à représenter des idées parfois abstraites (p. ex., le rire).

    « J’avais été invitée à saluer le public venu en nombre imposant pour assister à ce que l’histoire retiendrait comme le premier lancement de livre en territoire acadien. Et je m’étais plainte de l’absence, lors de l’événement, de la personne qui eût le plus mérité d’y figurer. Car la Sagouine… » (p. 45-46)

    « Les muses?
    Je crois entendre Rimbaud : "J’allais sous le ciel, Muse, et j’étais ton féal." J'ai cru pendant de longues années, non, de brèves années, que les muses ne parlaient qu’aux Rimbaud et autres immortels. J’appartenais à un monde bien différent… » (p. 47)

    « J’ai pourtant appris en fréquentant Gargantua et Pantagruel que Rabelais est sans doute moins rabelaisien que ses autres disciples. […] Le rire chez nous comme chez lui est rarement gratuit, plus qu’une décharge du diaphragme, il a du sens. Il est surtout un exorcisme. Comment expliquer autrement le rire des multiples femmes du docteur qui assistent en gants blancs et chapeau de velours aux satires de la Sagouine qui ne les ménage pas? (p.78)
     

  • Thèmes convenant à un lectorat avisé (p. ex., écriture, passage du temps, langues française et acadienne) et qui témoignent de l’érudition de l’auteure.

    « Même si je croyais fermement à l’écriture, même si j’ai été consciente du risque de sombrer dès mon premier plongeon au fond de la mer la plus sombre, dans la plus solitaire des solitudes, la plus folle des folies, je n’y pouvais rien, je huchais après mon destin de m’attendre, de ne pas me laisser m’égarer dans la littérature des autres, qu’il me fallait chanter le seul chant dont j’étais porteuse, et qui m’avait bercée depuis mes limbes immémoriaux. » (p. 41)

    « Combien de fois ai-je ragé de n’avoir qu’une vie, une pauvre petite vie de quatre-vingts, peut-être cent ans […] De toute façon, ce sera toujours trop peu pour me faire anthropologue, archéologue, spéléologue… » (p. 99)

    « Ma langue est une version acadienne du français universel […] par son accent qui reproduit encore de fort belles pages de Molière, par son intonation qui refuse de marteler l’accent tonique sur la dernière syllabe mais se fait chantante en empruntant le rythme de la mer. » (p. 156)

Langue

  • Niveau de langue courant, mais émaillé d’expressions familières; langage populaire des petites gens auxquelles l’auteure donne la parole dans ses œuvres.

    « "Fais confiance à la mer, elle te portera." Paroles de mon père qui s’y connaissait en eaux troubles et mer ténébreuse. » (p. 9)

    « – La petite bougresse avec son nez fourré partout! » (p. 11)

    « – D’oùsque je venons? Qui ce que je sons? Et y aura-t-i’ un quai de l’Autre Bord pour nous laisser nous jeter en bas et nous re-tuer si le sort qui nous est résarvé Là-Haut ressemble trop à c’ti-citte? » (p. 44)
     

  • Vocabulaire français accessible; expressions acadiennes et québécoises; champs lexicaux et sémantiques qui nous font voyager dans les méandres de l’acte d’écrire; lieux-dits qui ajoutent de la couleur locale aux récits.

    « Curieusement, c’est en voulant moi-même sortir du conte que j’ai compris, dans un éclair qui m’a fait calouetter, l’origine de chacun de ces personnages que j’avais cru arracher au corpus universel. » (p. 69)

    « …pouvoir partager ma compréhension mais surtout ma découverte de la littérature, l’ancienne et la moderne, la française et l’universelle, celle des mythes, des contes et légendes, de l’épopée, de la poésie, du théâtre, du roman, de l’essai, l’écriture sous toutes ses formes : mythique, lyrique, mélancolique, tragique ou comique, grave ou légère, triste ou joyeuse, qui élève ou divertit, dans les mots des sages, des rois, des manants ou des fous, des plus-que-tout, des moins-que-rien, la littérature, enfin, qui fut ma passion et mon salut. » (p. 73)

    « …il devra regarder d’un autre œil la butte du moulin, la rivière à hache, le ruisseau des pottes, le lac à la mélasse… » (p. 141)
     

  • Discours se rapprochant parfois de l’oralité; phrases assez longues; répétitions fréquentes de certains procédés linguistiques (p. ex., accumulation et énumération) qui mettent en lumière la volubilité de l’auteure.

    « Mais les Sarah? Allez expliquer comment toutes sans exception… bon, disons toutes celles que j’ai connues, ou à tout le moins qui ont retenu mon attention… se sont révélées des voyantes. » (p. 27)

    « Un monde où s’affrontent les chasseurs et les chassés dans un combat meurtrier; où fraternisent deux vieilles centenaires nées, par une distraction de l’évolution, à cheval entre le territoire des hommes et celui des fauves; où Titoume et Nounours, les inséparables à la vie à la mort, s’acharnent à abattre le mur invisible qui sépare leurs deux mondes, au prix de s’évader chacun dans l’espace de l’autre. » (p. 96-97)

    « Je sens, je vois, j’entends, je comprends, je vibre, j’imagine, je crée. […]
    J’ai un faible pour les valeurs en peinture, les nuances en musique, les courbes en architecture; mais en écriture, j’aime les couleurs, la sonorité, le rythme, l’éloquence suivie du chuchotement… » (p. 122)

Référent(s) culturel(s)

  • Nombreux référents culturels de la francophonie canadienne et internationale parmi lesquels des lieux (p. ex., Acadie, Montréal), des œuvres de l’auteure (p. ex., La Sagouine, Le huitième jour, Pierre Bleu) et de nombreux écrivains (p. ex., La Fontaine, Mauriac, Molière).

Pistes d'exploitation

  • Inviter les élèves à retranscrire des descriptions de personnages créés par Antonine Maillet et à les afficher en classe afin de créer une galerie de portraits.
  • Demander aux élèves de comparer des textes choisis d’Antonine Maillet et de Rabelais en mettant en parallèle certains éléments tels que le vocabulaire, le style, les personnages et l’histoire.
  • Demander aux élèves de rédiger une définition de l’écriture selon Antonine Maillet et d’explorer sa conception de la littérature, du mot, de l’inspiration, de la mémoire et de l’imagination.

Conseils d'utilisation

  • En raison du genre, de la structure de l’œuvre et des nombreux référents littéraires, réserver cette œuvre à un lectorat dont les compétences linguistiques sont de haut niveau.
  • Proposer cette œuvre comme texte de référence dans le cadre d’un projet de recherche sur Antonine Maillet et non pas comme lecture individuelle.
  • Vue la prédilection de l’auteure pour la littérature orale, parler de la place de l’oralité dans la littérature mondiale (p. ex., dans l’œuvre d’Homère, dans La chanson de Roland).