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La mémoire de l’’aile

Angéline, Lilith, Mélusine. Trois prénoms, un seul personnage énigmatique, assoiffé d’envol et de créativité, qui vit au cœur d’une forêt, en symbiose avec la nature. C’est en suivant une confrérie de corneilles en pleine tempête de neige que Beltran Aguilar, hybrideur de roses et ancien pianiste, rencontre la mystérieuse femme aux pas ailés, résurgence de la Mélusine mythique. Au fil de la fascinante révélation de leurs origines, s’amorce entre ces deux solitudes aimantées une relation aussi improbable qu’espérée.

Artiste marginale, victime de préjugés, Mélusine est internée à la suite d’un délit étrange. Forte des pouvoirs de l’imaginaire, la femme-oiseau, ivre d’absolu, tentera de transformer les barreaux de sa cage en labyrinthe salvateur.

(Tiré de la quatrième de couverture du livre.)

 

À propos du livre

Contenu

  • Roman complexe et touffu, composé de mythologie et de superstition, de mysticisme et de spiritualité, d’imaginaire et de réalisme.

    « Immobile, le vent ébouriffant ses ailes, elle quitte la terre, flotte, plane, virevolte, tout en légèreté. Lorsque ses pupilles sont saturées de beauté, elle ferme les yeux et son autre regard scrute au-delà des nuages, là où les humains n’ont pas l’habitude de pénétrer : le jardin des esprits et des anges. » (p. 113)

    « Elle louvoie, zigzague, bondit dans tous les sens, mais elle n’a pas l’endurance du Minotaure qui la poursuit. Des sabots martèlent le sol derrière elle. Il court plus vite qu’elle. Lilith sent son haleine sur sa nuque. » (p. 183)

    « Beltran, je souhaite vivre avec toi mes dernières heures, sans regret ni espoir gratuits, libre de fantômes. Je me prépare à tisser la chrysalide de ma Nuit, celle où le noir et le blanc, le rêve et la réalité, la folie et la sagesse ne seront plus conflits, mais noces de paix. La forêt enneigée sera ma "chambre blanche", initiatrice de ma dernière transformation. » (p. 360)
     

  • Trois personnages principaux en un, identifiant trois façons d’être, trois transformations, trois raisons d’être dans un monde d’intériorité, de rêve et de quête de liberté.

    « Angéline a quitté son corps, désormais enveloppe insensible. Vide.
    Ce soir-là, Angéline est morte.
    Ce soir-là, elle s’est relevée, autre. » (p. 179)

    « – J’ai lu dans les notes au dossier que vous [Mélusine] avez changé votre nom à deux reprises. Enfant, vous avez été baptisée Angéline. Le soir où vous avez été agressée, vous avez adopté le nom de Lilith et maintenant, vous vous appelez Mélusine. Je suis curieux. Qu’est-ce qui vous incite à changer ainsi de prénom? 
    – Rien n’est plus important qu’un nom. C’est lui qui donne son sens à la destinée d’un enfant et il est essentiel qu’il soit en harmonie avec son identité profonde. Il arrive parfois, au cours d’une vie, qu’un nom meure, qu’il éclate comme du verre ou lentement se désagrège. Comme le serpent, il faut apprendre l’art de la mue. La vie a plus d’une fois déchiqueté mon nom. J’ai atteint l’abîme, connu la nudité absolue. […] C’est la force du nom nouveau qui façonne, enfante, aide à remonter à la surface.
    Le psychiatre est interloqué. » (p. 339-340)

    « Or, j’intuitionne que mon dernier nom sera fait de lambeaux d’ombre et de lumière, de joies et de blessures que je devrai recoudre avec compassion. » (p. 341)
     

  • Personnages secondaires complexes (p. ex., les corneilles et Beltran) accompagnant le personnage principal, la femme-oiseau, dans son douloureux cheminement de la noirceur des expériences vécues à la lumière du rêve et de la créativité.

    « Cette année-là, ma mère abrita une famille de corneilles. Par malchance, le mâle périt sous les flèches d’un gamin qui aiguisait sa virilité au tir à l’arc en forêt. Les quatre œufs de la femelle furent dévorés par des prédateurs. Inconsolable, elle passait ses journées au-dessus de ma tête à pousser des cris, lugubres et désespérés, qui m’allaient droit au cœur. C’est à ce moment que je ressentis, sans pourtant les comprendre, la voix de la mélancolie et la douleur de la perte. À ma naissance, cette corneille devint mon ange gardien. C’est elle qui m’a appris à parler. Ne riez surtout pas. Un jour, moi aussi je serai une corneille et je volerai aussi haut que les étoiles. » (p. 174)

    « – Viens, dit tendrement Beltran à Mélusine dans le parloir de l’hôpital psychiatrique. Débarrasse-toi de cette robe à fleurs, reprends tes colliers de plumes, nous partons. Je ne veux pas que tu passes une journée de plus dans cet enfer.
    […]
    – Je n’avais pas l’intention de te ramener chez moi, Mélusine, nous allons vivre dans ton jardin sauvage. J’ai déjà emménagé mon piano dans ton petit salon. La tempête est passée. Le temps est venu, comme les rouges-gorges, de rebâtir notre nid. » (p. 353)
     

  • Thèmes nombreux emportant le lectorat dans le monde trouble d’une schizophrène en quête d’absolu (p. ex., le duende (charme mystérieux et ineffable), la créativité, la vie et la mort).

    « Souvenez-vous de mes paroles. Vous ne percerez pas, car vous n’avez pas le duende. Votre musique est trop lisse, fluide, comme une rose sans épines, traversée par le simple souffle des anges. Tant que vous demeurerez à la surface des choses, sans confronter les ombres qui se tapissent au fond de vous, tant que vous ne convierez pas le démon dans un corps à corps, que vous n’éprouverez pas les douleurs du combat, vous jouerez sans duende. » (p. 82-83)

    « Avant de quitter les lieux, Angéline jette un dernier regard sur la tombe de sa mère. Qui vient-elle de perdre dans cette forme inhumaine qui gît dans un cercueil de pin? Sa mère? La mère qu’elle n’a pas eue? Est-ce la fin de son rêve? "Non! s’obstine l’enfant, maman est partie, je vais maintenant la réinventer." » (p. 162)

    « Notre thérapie fonctionne puisque nous avons réussi à briser ses cycles d’exaltation. 
    – Vous voulez dire ces moments de grâce qui lui permettent d’écrire, de dessiner et de peindre, ces émotions d’irrépressible urgence et d’ébullition qui sont le creuset de sa créativité? Vous lui avez coupé les ailes, Docteur. Et sans ses ailes, elle va mourir. » (p. 335-336)
     

  • Narrateur omniscient explorant, en le racontant, le monde intérieur des personnages; usage fréquent de dialogues.

    « Quelqu’un a crucifié une corneille sur leur porte, ailes ouvertes, retenues par deux clous. Un troisième lui transperce le flanc, retenant une feuille de papier pliée en deux. Angéline pousse un cri de terreur. La corneille est toujours vivante et, à la vue des humains, se débat en émettant un faible croassement.
    – C’est la corneille de maman! crie Angéline.
    – Que veux-tu dire? 
    – C’est la corneille messagère de l’Île volante qui tous les jours me donnait de ses nouvelles. » (p. 162-163)

    « Ses mains posées sur le tracé du labyrinthe qui occupe maintenant toute la chair entre ses seins et son pubis, elle parle ainsi à l’enfant qui va naître : "Ma petite déesse des arbres, tu as la fraicheur de la rose, la résilience et l’esprit sacré du bouleau, et je t’aime follement. "La jeune mère cherche à prolonger le plus longtemps possible le sentiment de plénitude de sa grossesse, ignore en elle le craquement des racines qui se rompent. » (p. 196)

    « Épuisé, il se lève, s’approche de Mélusine.
    – Beltran, tu as joué avec duende.
    – Oui, acquiesce-t-il, un sourire illuminant son visage. En plongeant mon regard dans le tien, j’ai vu le combat de l’ange et du démon, celui de la vie et de la mort. » (p. 362)
     

  • Rôle important donné à la nature, en particulier à la forêt qui reflète et génère des états d’âme des personnages.

    « Pendant des années, je l’ai observée peindre la forêt avec une ferveur sacrée. Un jour, elle m’a dit : "N’oublie jamais les arbres, Angéline. Ils sont ta réserve d’inspiration et ta source d’envol." » (p. 103)

    « Snorfari est le cheval le plus expressif de Hrafn. Si celui-ci connaît toutes les subtilités d’expression du langage de la bête […], Snorfari, lui, est le miroir des émotions de son maître. » (p. 132)

    « Ma mère fut un arbre. Elle est morte. Maintenant, elle est une forêt. Je vis en elle, elle vit en moi. » (p. 175)
     

  • Nombreuses formes d’art faisant partie intégrante de l’univers des personnages.

    « – Tu me fais penser à une mariée de Chagall, mon Angéline, dit Hrafn. Il suffirait que le vent gonfle ton voile pour que tu t’envoles, ajoute-t-il, attendri.
    – Est-ce que je lui ressemble, papa?
    – Oui, tu as l’air de la mariée de la tour Eiffel. » (p. 124)

    « Il inspire profondément. Du gouffre de son âme monte une musique que lui seul peut entendre. À corps perdu, il déplie le torse, lance les bras en l’air. Dans une suite de gestes larges, à la souplesse d’une véronique, il goûte le temps qui frôle sa joue. En chantournements et volutes, son corps entier embrasse l’espace. Il ignore ses adversaires, se voit danser du dedans, écoute ses mugissements de bête blessée et la musique de son sang. » (p. 315)

    « Sentimentales et nostalgiques, les premières notes de Plaisirs d’amour. Suivent les rythmes entraînants du Danube bleu, puis ceux, guillerets et d’une gaieté presque exagérée da la Valse des patineurs.
    […]
    Est-il un véritable artiste ou un imposteur qui ne pratique que l’artifice et la technique? » (p. 320)

Langue

  • Langue soutenue dans l’ensemble de cette œuvre aux nombreux passages poétiques agrémentés de figures de style variées (p. ex., métaphore, comparaison, énumération, allégorie).

    « Dans ce labyrinthe qui colore l’air de ses enivrants parfums, une vie florale triomphante de roses à cinq pétales dont l’expression et la symétrie ont le charme d’un visage à la Botticelli, de roses aux cent pétales, aux coupes rondes et si profondes qu’on y boirait son âme. » (p. 21-22)

    « Ensemble, ils ont vécu un moment d’éternité en regardant mourir le soleil, leurs pensées teintées des couleurs tendres et indécises de l’horizon. Ils sont repartis, main dans la main, lorsqu’une douce torpeur bleutée s’est déposée sur la forêt, l’enveloppant dans le mystère et le secret de la nuit. » (p. 141)

    « Ce n’est pas dans ses doigts que Beltran sent monter l’inspiration, mais dans la voûte des pieds, comme chez les danseurs de flamenco. Son contact avec la neige l’embrase. Cette matière que, toute sa vie, il a cru si pure, fraîche et douce, fomente des sons noirs. Ce n’est pas une pièce de répertoire qui fait piaffer ses doigts, mais une improvisation jaillissant de son cœur, tourmenté par la douleur lancinante de la mort qui lui arrache son dernier masque protecteur. » (p. 362)
     

  • Texte qui fait très souvent appel aux sens pour créer un environnement riche de nuances.

    « Soudain, dans l’air glacial, un parfum troublant, éveilleur de désir, chatouille les narines de Beltran. Un frisson voluptueux court sur sa peau. Il est sur le point d’atteindre son but, il le sent jusque dans ses os et se laisse volontiers entraîner par l’odeur difficilement identifiable, néanmoins irrésistible. » (p. 59)

    « Il ne peut résister à l’envie de s’y désaltérer. Il s’agenouille dans les feuilles mouillées, puise l’eau glacée, y trempe les lèvres. L’eau a un goût si limpide qu’il veut en reboire. Ses yeux scrutent le sol. Comme l’étrangère, la source a disparu. L’homme reste sur sa soif. » (p. 138)

    « Pourquoi a-t-elle si peur du silence, elle, dont le moindre bruit égratigne l’ouïe? Est-ce l’absence véritable de silence en cette absence de bruit qui l’inquiète? Au cœur de la cellule de contention insonorisée, le corps, d’habitude silencieux, frémit d’une angoissante turbulence, se met à hurler de tous ses organes. Battements du cœur, soufflet des poumons, circulation sanguine, respiration, gargouillis digestifs; tous prennent une ampleur inquiétante. » (p. 268)
     

  • Œuvre de sept parties titrées, précédées d’un exergue, chaque partie étant elle-même divisée en chapitres titrés, de longueurs variables. 

Référent(s) culturel(s)

  • Nombreux référents culturels étoffant le texte.

    « Do, do, l’enfant do, Angéline dormira bien vite. » (p. 17)

    « Rencontre de hasard objectif » (Titre de chapitre, expression d’André Breton, p. 31)

    « …c’est dans la rêverie que nous sommes des êtres libres… » (Exergue, de Gaston Bachelard, p. 109)

    « De tous les animaux qui n’ont cessé d’habiter l’homme comme une arche vivante, l’oiseau, à très longs cris, par son incitation au vol, fut seul à doter l’homme d’une audace nouvelle. » (Exergue, de Saint-John Perse, p. 249)

Pistes d'exploitation

  • Avec les élèves, étudier, pour les apprécier, la structure du roman comme ensemble, la structure d’une de ses parties (p. ex., Le feu sous la neige, p. 31 à 105), d’un de ses chapitres (p. ex., Quand la mort porta quatre fers, p. 127 à 135), d’un de ses paragraphes et de ses phrases (p. ex., « Angéline aime aussi observer le vent […] il arrache les bardeaux des maisons, saisit les vagues des lacs et des rivières, les fait écumer de rage et tourbillonner dans l’air. » (p. 119))
  • Explorer dans ce roman l’importance de l’art, sous toutes ses formes, comme mode d’expression personnelle et comme ferment d’idées, de sentiments, voire de passion. 
  • Étudier le symbolisme de la plume, de l’aile et de l’oiseau, thème récurrent dans l’œuvre.

Conseils d'utilisation

  • Accompagner les élèves dans la lecture de cette œuvre qui aborde des sujets délicats tels que le suicide, le viol, le meurtre, la sexualité, la folie.
  • Proposer cette œuvre à des élèves des niveaux avancés; les aider à s’orienter dans ce roman plutôt difficile en raison de ses évocations de mythes et de légendes, de ses références à de nombreuses œuvres artistiques, de ses thèmes, de sa structure et de son vocabulaire.